Ouvre les yeux dans les yeux que tu crois avoir ouverts

Cette citation de Christiane Singer prend un sens tout particulier dans le chemin vers « être meilleur » pour ou avec les chevaux.

Ces êtres merveilleux, capables de communiquer en silence, qui ressentent nos états d’âme et y réagissent sans filtre : fuite, attirance, rejet…

Ces animaux qui savent propager leurs émotions et donc leur bien-être sans retenue.

Combien de moments magiques pendant ma pratique ! Ces instants où le compagnon de pré vient profiter du soulagement de l’autre. Voir ce cheval inconnu, que je n’ai pas touché, venir se blottir, la tête près du sol, pour un moment de sérénité pure… ou encore comme récemment, se coucher carrément auprès de celui que j’ai entre les mains, et les voir prendre plaisir ensemble, se détendre en phase…

Il suffit de savoir observer pour prendre la mesure de ce qui nous échappe dans la roue infernale du quotidien. L’instant présent, l’Amour ambiant, la bienveillance, le silence qui n’en est pas un : brise, oiseaux, feuilles, respirations, transit… Bref, la Vie 🙂

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Pression environnementale

« Le portrait de notre monde moderne montre une réalité qui a muté au fil des siècles, de la famille étendue à la famille nucléaire et enfin à l’individu seul. C’est un fait que la désaffection pour la communauté est parvenue à son apogée aujourd’hui : de plus en plus de gens vivent seuls.Il ne nous reste quasiment plus que notre peau comme frontière contre l’extérieur, contre les menaces, les troubles ou les attaques qui pourraient en venir. Pour parvenir à survivre dans ce vase clos, une seule et même personne doit combiner de multiples compétences (…). »

« Nous vivons dans un monde qui exige de chacun de nous son absolu maximum. »

K. F. Hempfling

Cette pression environnementale, nous la transmettons aux chevaux, comme toutes les émotions positives ou négatives qui nous bouleversent.

La société nous invite à entrer dans une quête de performance, en oubliant souvent l’instinct, l’intuition, le « vrai ». Passer un moment à être avec son cheval et simplement ressentir sa présence, son souffle… ça fait sourire. Mais ce n’est pas suffisamment démonstratif pour que d’autres y accordent de l’importance.

Ainsi, lorsqu’on est en quête de reconnaissance, on se sent obligé de montrer une palette de compétences, généralement au dépend de l’authenticité.

C’est perdre de vue l’incroyable privilège que les chevaux nous donnent : celui de pouvoir nous extraire de la pression du monde, de passer dans un espace hors du temps et des jugements, avec pour seul baromètre l’expression de cet être sublime.

« L’essentiel…

… est invisible pour les yeux »

Rien de bien nouveau, mais Le Petit Prince est toujours de bon conseil.

Privilégier la manière et non le clinquant, rendre son importance au chemin plutôt qu’au résultat…

Rester fidèle à soi-même et droit dans ses bottes, ne pas faire pour séduire, ne pas séduire pour plaire, mais se contenter de construire pierre après pierre et avec le même soin chaque fois, pour tendre vers un idéal.

Et voir cet idéal s’approcher parfois, nous donner un avant-goût le temps d’un instant, juste assez pour nous donner la motivation de continuer sur cette voie.

Les chevaux, si beaux soient-ils, ne sont pas des objets de collection, qu’on affiche dans son salon ou dans son écurie pour qu’on nous admire d’en être propriétaire. Les chevaux sont des êtres à part entière, qui ont une vie à eux et une capacité de jugement qui leur est propre. Ils savent se mouvoir sans nous et être brillants sans nous. Dès lors qu’on travaille avec eux, il est facile de choisir le spectaculaire comme faire-valoir. Un cheval à la nuque ployée, un cabrer, un coucher, un piaffer…

Tout ceci est vendeur, accrocheur, mais peut être obtenu de tellement de façons différentes que ce ne sont pas nécessairement des manifestations d’un travail réalisé avec la manière.

L’essentiel est invisible pour les yeux. L’essentiel, c’est le psychisme du cheval dans ces exercices et au quotidien, c’est son état de santé, c’est sa décontraction, son plaisir, sa coopération.

Connaissance par le rythme

L’intuition est définie dans le dictionnaire par « une forme de connaissance immédiate qui ne recourt pas au raisonnement ». Pas de délai, pas de doute, pas de parasite : l’intuition est la réponse que l’on a en soi.

Faire silence, considérer le cheval tel qu’il est : un être vivant. Or« […]l’être vivant n’est pas objet inerte mais sujet sensible. Son abord nécessite donc d’accepter la subjectivité, de réactiver l’intuition comme mode de connaissance. »*

« L’intuition comme mode de connaissance » l’évidence silencieuse qui nous mène à la compréhension, dans une danse avec « […]un animal qui incarne magnifiquement l’essence même du rythme et du mouvement : le cheval. « *

Voilà : si nous aiguisons notre intuition, le cheval nous apprend le rythme, le saisissement de l’instant juste, le tact.

Et par là nous donne accès à une connaissance plus large du monde, où c’est la Nature qui donne le tempo…

et non plus nos montres…

* Citations : Dr Ancelet, Se nourrir… et être nourri…

Travail sur soi

J’ai la chance de faire un métier en lien avec ma passion.

Un métier qui me pousse à chercher toujours plus loin, à me remettre sans arrêt en question et à grandir humainement.

J’ai une vision de ce métier qui exige que je travaille énormément sur moi. Sur mes émotions, sur ma gestuelle, sur mon attitude. Je ne suis qu’au début du chemin et il arrive que je sois mécontente de moi sur certaines séances.

Mais ces moments de remise en question sont l’occasion aussi de recentrer mes objectifs, de dessiner de plus en plus précisément ce vers quoi je veux tendre dans mon chemin de vie mais aussi ce que je souhaite pour les couples avec lesquels j’interagis.

En ce moment, avec ce travail assez intense sur moi-même, j’ai des résultats invisibles pour les autres, mais marquants pour moi.

Au cours d’une séance au sein du troupeau, où je fais travailler une cliente sur son attitude, adoptant moi aussi une gestuelle adéquate, je me suis retrouvée entourée de Fakir et Vulkan, tous les deux sont venus se poster près de moi, sans réclamer quoi que ce soit d’autre que la sérénité d’être dans mon entourage. Ce n’est pas quelque chose qui se passe habituellement, du tout, et surtout pas de la part de Fakir.

Une autre fois récente, en ramenant Vulkan au pré, Fakir était couché. Il m’a laissée approcher et s’est étalé de tout son long à mes pieds. C’est un cheval qui a toujours été très méfiant dans ce genre de situation et il ne se laisse normalement aller que s’il est tranquille au soleil sans humain dans les parages. Là, non, c’est bien une fois que j’étais près de lui qu’il s’est étendu, serein, la tête quasiment sur mes boots. C’est la première fois en 10 ans qu’il ose s’abandonner à ce point.

Ce sont des détails… mais très significatifs. C’est la preuve que travailler sur sa démarche, sur sa conviction, sur sa respiration, sur tout ce que nos chevaux perçoivent, permet d’influer sur leur plaisir à être en notre compagnie.

Dans ce contexte il n’est pas question d’être celui qui nourrit, celui qui gratte, celui qui « fait bouger », il est question d’être celui qui protège, qui rassure, auprès duquel il fait bon vivre.

Bien sûr tout ne change pas du jour au lendemain, mais le travail paie… sans compter que les qualités qu’on développe ainsi sont utiles dans la vie humaine aussi 😉

Chemin de vie

Nous ne sommes pas celui que nous étions quelques années auparavant, ni celui que nous serons dans quelques années.

Nous évoluons : même si parfois le chemin ressemble à une régression, il faut s’abstenir de juger mais de tenir compte du changement, tout simplement.

Nous sommes qui nous sommes à l’instant présent. Avec nos capacités présentes, notre degré de réceptivité actuel.

Il est donc tout à fait logique que nous n’ayons pas toujours les mêmes réponses de la part de nos chevaux, qui accompagnent bien des changements dans nos vie.

Ces êtres si sensibles aux émotions ne peuvent que réagir face à nos troubles passagers ou plus durables. Ils subissent nos changements d’attitude et de posture parfois totalement inconscients et ils peuvent se révolter de nous voir exiger les mêmes réponses tandis que notre langage corporel est réellement modifié.

Tant que l’humain est capable de remise en question, tant qu’il cherche l’intérêt de son cheval à travers ses interactions avec lui, il ne peut être jugé durement.
Car on ne peut pas toujours connaître le chemin de vie d’une personne qui l’amène à ce jour à manquer d’assurance, de tact, de prudence, de lucidité… Il s’agit d’un moment de sa vie parmi d’autres.

Rien ne sert de culpabiliser l’humain, qui n’en serait que plus maladroit par la suite. Au contraire, ces erreurs apparentes sont des témoins de son état émotionnel actuel.
Et c’est de ces observations, parfois avec de l’aide, que l’humain va pouvoir continuer le chemin de sa vie dans une direction plus en adéquation avec sa recherche.
Le cheval saura lui dire s’il est dans la bonne voie.

N’oublions pas que nous sommes condamnés à chercher toute notre vie et que rien n’est jamais gravé dans le marbre. Ni les actions jugées comme bonnes, ni celles jugées comme mauvaises.

Seuls l’acharnement et l’absence de remise en question sont à blâmer. Les erreurs, elles, ne sont que des étapes nécessaires à l’évolution du couple, au chemin de vie de l’humain… et du cheval.

Le cri du silence

« Le vide est toujours la cause, l’excès le symptôme. »

Christelle Pernot, Zen, shiatsu et spiritualité

Les tensions musculaires apparaissent en réponse à un blocage quelque part.

Les excès d’humeur témoignent d’un manque, d’une frustration.

Celui qui crie et et tape ressent son impuissance, son incompétence…

…momentanée ou durable.

Intention, suggestion, récompense

Pendant l’exercice du Tai Chi Chuan, il importe d' »agir psychiquement et non agir physiquement » […]

James Kou, Tai Chi Chuan, harmonie du corps et de l’esprit

 Avec les chevaux, il ne s’agit pas d’arracher un mouvement.

On ne va pas tirer sur la nuque d’un cheval jusqu’à ce qu’il trotte derrière nous.

On ne va pas taper sur son poitrail jusqu’à ce qu’il recule.

On ne va pas commencer par une sensation désagréable voire douloureuse avant d’y avoir mis l’intention, d’avoir essayé d’obtenir le mouvement par suggestion.

Il se trouve que certains agissent ainsi, pensant bien faire, mais ôtant alors au cheval toute fierté, toute animalité. Il devient un objet, une figurine dont on actionne telle ou telle partie articulée. En agissant ainsi, ces personnes s’imaginent qu’elles apprennent à un cheval à trotter, qu’elles apprennent à un cheval à reculer… Non. Les chevaux savent très bien bouger sans nous, nous ne sommes là que pour leur demander humblement de bouger dans le sens qui nous arrange au moment voulu.

Et pour que le cheval se meuve, il lui faut un but, qui ne soit pas l’absence de douleur ou d’inconfort, mais bien un confort, un objectif qui lui soit profitable.

L’intention, c’est l’action psychique. C’est peu voire pas de désordre. C’est peu voire pas de stress, avec quelqu’un qui se maîtrise un minimum.

L’intention, c’est donner un sens clair à l’action demandée.

La récompense, c’est remercier le cheval d’avoir fait de notre intention la sienne.

Notion d’échec

« […]tant que le cavalier désapprouve l’expérience qu’il vit en la qualifiant d' »échec », il lui sera difficile d’utiliser cette situation comme déclencheur d’une progression.

C’est pourtant une opportunité !

C’est là où l’amour du cheval peut fournir l’énergie et le courage nécessaires pour aller au-delà des blocages, pour faire sauter les verrous et se remettre en question, pour trouver des solutions.

[…]Le blocage va devenir tremplin.

Le cavalier peut commencer à travailler sur lui-même, transcender les blessures psychologiques et les douleurs qui se cachent derrière les blocages réveillés par l’équitation (ou plus simplement par son cheval, ndlr). Il peut alors continuer à vivre sa passion en y prenant du plaisir. »

Bernard Chiris, S’épanouir à cheval

« […] ce que Joy appelait faire des fautes comportait ces attributs importants : évaluer la situation, localiser la résistance […] , chercher des alternatives […] , harmoniser les intentions et le langage corporel, perdre l’équilibre et le retrouver. »

Linda Kohanov, Le Tao du Cheval

« L’échec est le fondement de la réussite. »

Lao-Tseu, Livre du Tao et de sa vertu

Approche et pause

La pause, le temps de la réflexion, le petit blocage entre inspiration et expiration, l’instant nécessaire.

S’approcher du cheval, décrire un arc de cercle, l’observer et marquer la pause au moment où il semble vouloir s’écarter.

Un infime report de poids, une inflexion de l’encolure, on stoppe tout.

Et vient alors l’intérêt du cheval, sa curiosité et sa gratitude pour ne pas l’avoir oppressé.

A recommencer cette danse, la distance s’amenuise, jusqu’à se trouver aux portes du rêve tant convoité.