Progression dans le travail, croisons les regards

J’ai croisé plusieurs approches du travail du jeune cheval, afin d’en tirer une trame de progression dans le travail (ici à prédominance dressage) du débourrage jusqu’à la basse école.

Le premier regard est celui du Dr Benett sur la croissance du cheval.

Le second est celui du Dr Pradier sur la biomécanique du cheval et donc l’ordre dans lequel les exercices devraient être amenés pour préserver au mieux l’intégrité physique du cheval et en faire un athlète en pleine forme.

J’ajouterai que tous les auteurs en matière d’ostéopathie et d’étiopathie que j’ai pu lire tombent d’accord sur cet ordre de travail, à savoir commencer par étirer le cheval avant de lui demander de se rassembler.

N’oublions pas, enfin, que tout travail dans la décontraction amène à une augmentation du schéma corporel et donc à une musculation optimale, tendant à bien développer les muscle de posture et donc à bien supporter le squelette (et le cavalier), tandis que le travail dans la contraction amène à une crispation, donnant une musculation « bodybuldée » des muscles locomoteurs, au détriment des muscles de posture. Nous obtenons donc soit un cheval harmonieusement musclé et délié, soit un cheval paraissant musclé en surface mais faible et crispé, n’assurant pas son avenir physique sur le long terme.

J’ai incorporé dans ces deux approches des notions qui font partie de ma démarche personnelle, très inspirée par les grands maitres de toutes disciplines en matière de travail à pied. Il s’agit de préparer systématiquement à pied ce qui sera demandé un peu plus tard dans le travail monté.

Et finalement, tout ce qui touche au développement de la confiance et du respect, comme la désensibilisation à certains objets ou situation effrayants, le travail de l’indépendance, la connexion en liberté… sont autant de points qui me sont chers et qu’il est tout à fait possible de concilier avec la richesse des éléments déjà abordés.

Cette trame est adaptable par tous, il suffit de remanier certaines lignes, selon les objectifs de chacun. Le débourrage à 4 ans n’est certes pas une habitude, vous pouvez adapter à 3 ans, mais il va de soi que la croissance quant à elle n’ira pas plus vite pour autant. Il faudra donc en tenir compte et par exemple décaler les exercices sollicitant les jarrets pour qu’ils interviennent une fois la croissance de cette articulation terminée.

N.B. : on s’attachera tout du long de l’apprentissage à tenir compte de la cadence naturelle du cheval, en la respectant dès lors qu’on a l’impulsion.

Une bonne lecture de la trame :

Quand un exercice apparait, ça ne signifie pas qu’il faille le maitriser impérativement à cette période, ce peut être plus tard, mais :
– il n’est pas recommandé de l’aborder avant l’époque donnée
– il n’est pas recommandé de commencer les exercices cités plus tard, tant que celui-ci n’est pas maitrisé / abordé et compris

A noter également qu’à partir du moment où un exercice est abordé, il faut l’entretenir et le perfectionner tout du long du travail et non l’abandonner au profit des nouveaux à venir.

Débourrage, saison 1 année 1 :

Pour un débourrage à 4 ans : l’encolure et les membres (à l’exception des jarrets) ont fini leur croissance.

Début du travail monté aux 3 allures.

  • direction
  • transitions (leçon de jambes)
  • instauration progressive de la notion de contact
  • passage de barres au sol en liberté et/ou en longe dans le calme, pour compenser la perte d’amplitude générée par la présence du cavalier en selle
  • maitrise des épaules et des hanches par suggestion et par contact (préparation aux rôles de la jambe d’incurvation et de la jambe isolée)
  • aspiration des épaules au pas et au trot
  • extension d’encolure en longe ou en liberté, au pas et au trot (si possible initiée auparavant)

Observation : le ventre commence à remonter

Saison 3 année 1 :

  • contact accepté et stable
  • pas et trot cadencés
  • jambe isolée comprise au pas
  • début d’extension d’encolure au pas et trot
  • premiers départs au galop à la voix
  • en longe ou en liberté, de grands cercles bien ronds avec transitions sur le cercle vives et précises
  • travail du galop à pied en multipliant les départs
  • début des valses décomposées
  • début campo (tenu 5-6 secondes max, pour que le cheval ne se relâche pas en creusant le dos)
  • début aspiration des hanches au pas
  • passage de cavalettis en main, dans le calme (isolés ou combinaison très simple, comme une ligne à 2 foulées)

Observation : le cheval « porte » son cavalier

Saison 4 année 1 :

  • pas actif, ample, le cheval suit la main
  • bonne réponse à la jambe isolée
  • travail du galop en extérieur, recherche de la cadence
  • extension d’encolure optimale
  • cession à la jambe au pas
  • sorties en terrain varié avec prudence
  • petits contre-hauts et contre-bas en main (50-60 cm max), on travaille la franchise et non la performance
  • travail ludique sur un piédestal
  • transitions dans le pas en longe ou liberté
  • épaule en dedans au pas en longe et en liberté
  • aspiration des hanches au trot

Observations : le dos et l’arrière-main se développent ; on augmente l’amplitude et pas l’élévation ; l’équilibre est horizontal

Saison 1 année 2 :

Pour un débourrage à 4 ans (le cheval est donc âgé de 5 ans), les jarrets et le bassin ont fini leur croissance.

  • extension d’encolure dans la cession à la jambe au pas
  • épaule en dedans (eed) au pas
  • début du trot assis (par petites séquences et avec une bonne assiette)
  • départs au galop sur le bon pied en carrière
  • premiers fractionnés (travail du souffle, de l’endurance), de faible intensité
  • reculer rythmé à pied sur de courtes distances (4-5 pas)
  • changements de main vers l’intérieur en longe ou liberté
  • début des valses rythmées
  • campo (tenu maximum 1 minute)
  • déplacements latéraux au pas en longe ou en liberté, par suggestion et par aspiration

Saison 2 année 2 :

  • l’eed au pas devient une allure
  • hanches en dedans (hed) au pas
  • la transition trot enlevé – trot assis est parfaitement supportée
  • travail sur deux pistes bien avancé au pas
  • cession à la jambe au trot
  • déplacements latéraux en longe ou en liberté, par suggestion et aspiration au trot
  • transitions dans le trot en longe ou en liberté
  • transition pas-galop maitrisée en longe et/ou en liberté

Saison 3 année 2 :

  • galop cadencé
  • début du reculer
  • extensions d’encolure dans la cession à la jambe au trot
  • eed au trot
  • reculer rythmé à pied sur de plus grandes distances (6-8 pas)
  • transitions simples variées en liberté, sur terrain légèrement en pente si possible
  • hanches en dehors du cercle au pas et au trot en longe et en liberté

Saison 4 année 2 :

  • l’eed au trot devient une allure
  • hed au trot
  • départs au galop sur le bon pied maitrisés
  • début de galop à faux sur lignes brisées
  • pas espagnol à pied
  • enchainement eed – hed en liberté le long du mur par suggestion et aspiration au pas puis au trot

Ce n’est qu’à partir de ses 6 ans en moyenne (plus tard pour un grand modèle) que la colonne vertébrale du cheval sera consolidée. Le trot assis sur de longues séquences attendra donc cette étape.

Vous aurez bien compris qu’il s’agit ici d’une synthèse de ce que d’autres ont expérimenté avant moi, assaisonnée de mes propres remarques et expériences. Vous retrouverez dans divers ouvrages des passages qui seront en accord avec tel ou tel paragraphe de cette trame. L’intérêt ici est justement de synthétiser des notions pas toujours très abordables et de les rendre accessibles au plus grand nombre.

Rien n’est figé, il est possible que je fasse évoluer cette trame avec le temps, et avec les remarques et expériences d’autres propriétaires. Mais je m’engage à éviter dans tous les cas des incohérences qui seraient préjudiciables pour le physique et le mental du cheval.

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Ces chevaux qui réfléchissent

Plus on passe de temps avec les chevaux, plus on les trouve différents les uns des autres. Leurs caractères, leurs préférences, leurs habitudes, … mais également leurs manières d’apprendre.

Si pour certains chevaux le par cœur fonctionne très bien, pour d’autres il leur faut d’abord comprendre l’objectif pour pouvoir retenir l’exercice.

Pour certains la nouveauté est toujours suspecte, pour d’autres elle est d’emblée stimulante.

Un cheval qui est à l’aise pour apprendre par cœur se satisfera de répétitions régulières des mêmes choses, jusqu’à ce qu’elles lui semblent naturelles. Avec ce cheval, vous pourrez sans le blaser faire plusieurs séances de suite sur le même thème. Plus que cela, vous allez pouvoir répéter la même demande fréquemment dans la même séance et obtenir toujours une meilleure réponse. Non seulement il ne s’ennuiera pas, mais en plus il s’améliorera considérablement ainsi et sera rassuré par le fait qu’il sache ce qu’on attend de lui. Ce type de cheval est du genre qui n’apprécie pas beaucoup la nouveauté et la refuse net avant de se laisser convaincre par son cavalier (s’il est un peu doué).
Cela peut se traduire par une monture qui s’arrête d’elle-même au moment où vous demandez, ou qui prend la main, se traverse, évite l’exercice.

Pour les chevaux qui cherchent à comprendre l’objectif, la nouveauté ne leur fait pas peur. Ils proposent, ils tentent des réponses déjà connues. « C’est ça que tu veux? non? Ah, ça peut-être? », débordants d’enthousiasme, ils peuvent aussi stresser s’ils ne trouvent pas. Il faut donc décomposer et les laisser réfléchir, féliciter très fort quand la réponse est adéquate. Un tel cheval, s’il bloque sur un exercice, n’appréciera pas la répétition, se sentira frustré qu’on lui redemande quelque chose dont il n’a toujours pas compris la finalité. Il lui faut le temps de l’analyse. Quelques jours sans parler de l’exercice en question et soudain il vous le donnera avec une aisance déconcertante. Il a compris. Non seulement la réponse sera adaptée, mais elle sera d’une parfaite justesse. Avec ces chevaux, c’est un peu tout ou rien : soit ils bloquent vraiment et s’énervent, soit ils font une démonstration. Mais ce qui est merveilleux, c’est qu’avec de la patience et de l’écoute, ils finissent toujours par s’approprier l’exercice et faire leur numéro de premier de la classe.

Quand ils sont incompris, les chevaux « par cœur » sont brutalisés et ainsi se mettent dans le moule. Les chevaux « anti par cœur » sont considérés rapidement dangereux.

Compris et écoutés, ils sont tous passionnants. J’ai personnellement un petit faible pour les chevaux de la deuxième catégorie décrite aujourd’hui. J’aime cette surprise toujours intacte de constater après quelques jours de pause que le miracle a eu lieu, que l’exercice est non seulement accepté mais absolument compris… et voir le cheval se corriger de lui-même s’il a tardé à répondre par exemple.

Mais tous nous amènent à réfléchir et à faire preuve de psychologie.

Apprivoiser

Un nouveau cheval entre dans votre vie, il agrandit votre famille.

Qu’il soit dressé ou non, en pleine forme ou non, doté d’un mental exceptionnel ou non, vous devez l’apprivoiser.

Ce n’est pas parce qu’un cheval développe ses gammes devant vous et réagit de manière adéquate à vos demandes, qu’il vous connait. Pas plus que vous ne le connaissez – quand bien même vous auriez appris par cœur son pédigrée.

Prendre le temps de l’observer, de venir le voir sans rien lui demander, le panser en liberté dans son pré, le toucher, lui parler, … pour le voir commencer à changer de regard. Il se met à vous observer à son tour, puis s’intéresse vraiment à vous, s’oriente par rapport à vos déplacements. Il est détendu, n’hésite plus à venir vous sentir un instant pour retourner brouter un peu plus loin, il a l’encolure basse quand il marche, …

Chaque cheval a ses petits témoignages d’affection et d’intérêt, chaque cheval doit être apprivoisé d’une manière et à un rythme qui lui correspond : le rassurer, le laisser respirer, le toucher, lui parler, lui donner à manger, le gratter… mais ce qui prime, c’est votre posture humble et surtout pas agressive ; ainsi que votre regard : tantôt droit dans les yeux avec un grand sourire, tantôt au sol pour éviter de provoquer une fuite… à vous de jouer de tout ce dont votre corps dispose pour communiquer.

Selon le vécu du cheval, cette étape peut prendre quelques jours comme quelques mois… voire années. Cela n’empêche pas d’interagir avec lui dans le travail, mais il serait logique et préférable que tout couple cavalier-cheval débute par une reconnaissance mutuelle avant d’entamer n’importe quel exercice. Après tout, ne parlons-nous pas de partenariat dans le travail? Et comment demander à un animal d’être un partenaire sans l’avoir jamais apprivoisé?

Rênes fixes et jeune cheval…

Depuis quelques années je croise beaucoup de propriétaires de jeunes chevaux à qui on a recommandé l’usage des rênes fixes pour travailler le loulou en longe.
Cet enrênement semble bénéficier d’une véritable bonne réputation, chose qui me semble absolument insensée… je vais tenter de m’expliquer.

Dans le cas d’une utilisation sur un mors :
Parce que fixées au surfaix et ayant une fonction encadrante, les rênes fixes ne peuvent être que positionnées basses. Donc l’action en bouche ne peut s’effectuer que sur les barres, chose non appréciable quand on cherche l’équilibre du cheval, l’engagement des postérieurs et l’élévation du garrot, en bref une attitude positive.
La main du cavalier étant absente, impossible d’adapter le contact selon les besoins du cheval (avancer légèrement les mains, faire vibrer les rênes pour décontracter mâchoire et nuque…). Le loulou va donc apprendre à se mettre en retrait par rapport au mors.
Selon comment elles sont réglées, la seule possibilité de venir en arrière du mors revient très vite à fermer l’angle tête-encolure, et voilà comment apprendre à un jeune à s’encapuchonner…
Si au contraire les rênes sont réglées longues, suffisamment pour que le cheval ait le chanfrein en avant de la verticale au pas, et bien quand il va faire sa transition montante au trot il va se compacter et donc perdre le contact dans la transition. Résultat : il a le droit à des à coups en bouche et apprend en même temps à fuir la main dans les transitions, on est bien loin du cheval qui apprend à livrer sa bouche 😉
Enfin combien de chevaux ont un mal fou à partir au galop en rênes fixes ? Tout simplement parce qu’ils ont besoin de s’étendre dans leur première foulée. Un cheval rassemblé n’aura certes pas ce souci, mais un jeune va tout simplement trouver la seule solution pour partir : se tordre tête à l’extérieure pour soulager son épaule interne et réussir à la passer malgré tout. On est loin du rôle du galop, qui étire tous les muscles côté extérieur et permet au cheval de s’assouplir : au contraire, on a un cheval qui se crispe dans le départ, généralement accompagné de sollicitations pas toujours cordiales de son humain, qui ne « voit pas pourquoi il ne part pas ».

Dans le cas d’une utilisation sur un side pull :
On évite dans ce cas les soucis avec la bouche, mais persistent ce problème de mettre le cheval sur les épaules et celui d’une perte de contact ou contact inadapté dans les transitions montantes.

En bref les rênes fixes sur un jeune, à mon sens, c’est à proscrire purement et simplement… même si ça donne une « jolie » attitude à votre élève…

Le stress du cheval : le minimiser, le gérer

Dans leur vie les chevaux ont plusieurs occasions d’être stressés : le sevrage, le débourrage, les déménagements, les accidents, les intempéries exceptionnels, les conflits avec l’humain…

Penser qu’on peut éviter tout stress à un animal d’une telle sensibilité et avec un tel instinct de survie est plutôt utopiste, à moins qu’il vive toute sa vie au même endroit, dans un pré sécurisé, à l’abri du vent et sans changement dans le troupeau… bon avouez que c’est quand même quasiment impossible.

Donc le Cheval stresse. Est-ce qu’il faut dramatiser, est-ce qu’il faut redoubler d’attention, est-ce qu’il faut le laisser tranquille…??

Si votre cheval est stressé à un moment précis, il doit rester conscient que vous êtes un référent. Dans des situations de peur, il est parfois besoin de lui rappeler sa place en marquant fortement les distances de sécurité, tout en restant très calme et donc rassurant. En bref : comportez-vous en leader et votre cheval vous considérera comme tel, puis se détendra grâce à votre présence.

Si votre cheval est très sensible et bondit tout le temps pour un rien, s’il fuit le contact, s’il réagit de manière excessive à tout ce qui l’entoure, c’est qu’il est dans l’incompréhension totale de ce qu’on attend de lui. Il ne peut pas du tout anticiper vos actes parce qu’il est perdu, donc il est surpris de tout.

Ce genre de situation nait de débourrages trop rapides ou maladroits, ou si le débourrage s’est bien passé, d’un travail bâclé / brutal par la suite.

Vous voulez que votre cheval soit rationnel dans ses réactions? Prévenez-le, habituez-le, reprenez les bases. Regardez-le, parlez-lui, touchez-le tout le temps et partout. En un mot, il faut l’apprivoiser.

On n’arrache pas les résultats à un cheval, il faut les mériter. Qu’un si bel animal, si puissant, nous offre une part de sa vie ne doit pas être considéré comme un dû avec sanction en cas de non coopération. Il faut que ce soit considéré comme un cadeau.

Mais attention, les Bisounours ne sont pas non plus mes amis !

Considérer leur participation comme un cadeau oui, mais il va de soi que tout ce qui touche à la sécurité doit être exigé. Et par là-même, en étant rigoureux sur la sécurité, vous devenez plus charismatique, vous prenez votre place de leader. Le cheval se sent donc en confiance en votre présence, il se contentera donc de cette place confortable de suiveur et cessera les provocations pour prendre le dessus. De plus, de la confiance naîtra la sérénité et vous n’aurez plus un cheval stressé, mais un partenaire fiable et attentif.